La Caille des blés, ou l’intérêt d’un déchaumage tardif.

22 octobre 2018 at 23 h 00 min

Voici un texte rédigé par Nicolas Viacroze, adhérent de notre association. Ce dernier exerce la profession de technicien commercial dans une coopérative agricole vendéenne, et conseille depuis plus de 25 ans les agriculteurs sur le choix des semences et des techniques culturales. Ce dernier souligne l’inutilité, dans la plupart des cas, des déchaumages pratiqués par les agriculteurs dès la fin juin. Afin de concilier productivité, et sauvegarde de la faune, il préconise de semer à la volée certaines espèces (moutarde, sarrazin), avant les moissons.

Les plaines céréalières sont une aubaine pour de nombreux oiseaux migrateurs, en particulier la caille des blés. A son arrivée, la caille profite des parcelles de céréales à paille pour ses activités nuptiales, de reproduction et d’élevage des poussins. Avant et durant la moisson, on l’entend chanter et rappeler régulièrement du soir au lever du jour.

Dès l’instant que les parcelles de céréales sont déchaumées, labourées, tôt en plein été,Coturnix-Coturnix disparaît définitivement de ces terrains et va tenter de trouver d’autres chaumes, intacts de tout travail mécanique ou d’autres biotopes (Prairies, Tournesol…). Dans de très nombreuses régions, la destruction précoce systématique des chaumes à grande échelle réduit indubitablement les succès de reproduction de l’espèce.

La caille adulte est une espèce prolifique ayant une forte capacité à mener à bien sa progéniture jusqu’en septembre (parfois octobre), à condition de conserver les chaumes de céréales avec une hauteur minimum (15-20cm) pour la préserver des attaques des prédateurs aériens (corvidés, rapaces). Les jeunes oiseaux nés en France de couvées précoces avant moisson sont également en capacité de reproduction courant août. Ce qui démontre le caractère très prolifique de l’espèce.

Au-delà de la perte du « gîte », c’est également le « couvert » qui disparaît. Dans une parcelle déchaumée en plein été, il n’y a pas de production d’insectes, favorable à la petite faune de plaine. Les jours d’ouverture de chasse, rares sont les chasseurs à fréquenter ces zones désertiques. Il n’est pas excessif de dire que de nombreux fusils ont été raccrochés à la vue de ces espaces aseptisés.

  • Rôle du déchaumage :

Le déchaumage est une technique de faux semis qui consiste à« gratter » superficiellement (2-4 cm maxi) avec des outils à dents ou à disques la surface du terrain après la moisson. L’objectif est de faire lever rapidement les adventices(1) pour les détruire ensuite par un second travail du sol (par exemple un labour) avant le semis de la culture. Rappelons que ces adventices engendrent une perte importante de rendement des céréales. La deuxième condition à associer au déchaumage pour favoriser la germination des « mauvaises herbes » nécessite une humidité superficielle du sol suffisante. Déchaumer au cœur de l’été assèche la couche superficielle du sol et sans pluie significative, point de germination.

A l’inverse on observe systématiquement un reverdissement naturel et spontané d’adventices dans les chaumes intacts de tout travail mécanique, même en cas d’été sec. La conservation des chaumes permet de répondre aux exigences des agriculteurs :

  • En diminuant le stock d’adventices, grâce à une germination efficace des adventices liée à l’humidité résiduelle du chaume.
  • En fixant l’azote, puisque les mauvaises herbes captent l’azote et fabriquent de la matière organique qui sera restituée au sol
  • En limitant l’érosion du sol,
  • En permettant le développement d’une microfaune auxiliaire des cultures, sans dépense de temps ou d’argent.

Mais le travail du sol aussitôt après moisson est parfois utile, voir obligatoire, seulement dans certaines situations agronomiques :

  1. en cas de semis de cultures de fin d’été (exemple : le colza, les graminées fourragères, CIPAN). La date maximale des Culture Intermédiaire Piège à Nitrate est fixée par arrêté départemental. Cette réglementation oblige de nombreux producteurs à semer les couverts végétaux très tôt, au cœur de l’été.
  2. en cas de destruction d’adventices vivaces présentes en nombre dans la parcelle et difficiles à contrôler (ex : chardons) ;
  3. en cas de sols très argileux (> 45 % d’argile), où la préparation des sols nécessite de travailler en conditions sèches.

 Comment concilier pérennité économique des exploitations agricoles et bio diversité dans les systèmes céréaliers ?

2 exemples :

  • Exemple1 : semis de CIPAN à mettre en pratique pour l’après moisson 2018:
  • Proposer à des agriculteurs de semer à la volée un couvert comme par exemple le Sarrazin ou la moutarde tardive (type Abyssinie)  à partir du mois de juin. Semer à la volée avant  la récolte du blé avec un épandeur à engrais ou de type « anti limaces ».. Cette démarche déjà pratiquée est à faire tester à des producteurs locaux, à partir de différentes espèces végétales.

La difficulté consiste à faire lever une plante sans l’avoir enterrée dans le sol (à partir d’un semoir classique), il faut donc utiliser des plantes à germination facile comme le Sarrazin par exemple ; mais également anticiper la météo avant le semis. L’idéal étant de semer ou plutôt d’épandre les graines avant une bonne pluie de Juin.

  • Exemple2 : Considérer les repousses spontanées comme des cultures pièges à nitrate.

La directive Nitrate oblige dans un certain nombre de situations à semer des couverts. Il existe actuellement une tolérance (variable suivant les départements) pour conserver un pourcentage chaumes en l’état sans avoir à semer la totalité de la surface par les fameux CIPAN.

Dans la mesure où la directive accepte un % de surface avec repousses spontanées, non déchaumées, que l’on reconnaît donc le rôle de piège à Nitrate de ces adventices, pourquoi ne pas demander 100% ? Et finalement  laisser le choix au producteur de conserver en l’état toutes ses surfaces en chaumes, ou de semer des couverts ?

Pour aller plus loin l’agriculteur qui s’engage à conserver, jusqu’à la fin du Mois de Septembre (par exemple) des chaumes intacts, développe un écosystème favorable à une forte diversité notamment de la microfaune. Fort de ce constat les fédérations de chasse devraient se rapprocher du monde agricole pour promouvoir une charte  de style « chaumes vivants » et  formuler le vœu de préservation des chaumes jusqu’à une date raisonnable de destruction auprès des instances agricoles.

A l’heure où l’on parle de PERTE DE BIO DIVERSITÉ dans les campagnes agricoles, voici un exemple de bon sens qui permettrait une relation gagnant-gagnant pour tous les acteurs  de la vie rurale.

Enfin, d’autres acteurs peuvent agir positivement sur nos territoires, comme les responsables de voiries des mairies en évitant de broyer les bordures de chemin, où certaines petites zones de friches à certains moments clés essentiels pour la biodiversité.

Demain le renouvellement de la chasse populaire, le rajeunissement de nos effectifs passera par le renouveau du petit gibier. Nous pouvons le constater sur les zones littorales où la proportion de jeunes chasseurs est importante, passionnés qu’ils sont par le gibier d’eau. En zone céréalière la caille, oiseau de chasse de début de saison, peut être un formidable atout pour dynamiser notre activité de plein air.

 

(1)Adventices : plante herbacée ou ligneuse qui se trouve dans un agro écosystème sans y avoir été intentionnellement installée. Dans le langage courant on parle de mauvaises herbes.

(2)En général, les CIPAN sont obligatoires (directives agricoles) dans le cas d’interculture longue pour éviter les sols nus en Hiver. L’objectif est multiple : limiter l’érosion – retenir les nitrates fixés par le couvert – conserver une vie biologique des sols – avoir un travail du sol par les racines. L’idéal étant que le gel en fin d’hiver parvienne à détruire ce couvert avant le semis de cultures de printemps (Maïs-Tournesol…).  Exemple, Colza fourrager, moutarde blanche, radis fourrager, Féverole, trèfle, seigle, Phacélie…